Pourquoi je suis (devenue) féministe ?

Photo : Monica Melton

Je vais être honnête avec vous : c’était pas évident. J’ai grandi dans un monde super ouvert, super tolérant, convaincue que depuis le droit de vote et celui à l’IVG (coucou la Pologne) tout était rentré dans l’ordre, et qu’on avait pas à se battre. Je ne voyais pas les couleurs, non plus. Oh et je slut-shamait à tout va, aussi. Donc c’était pas gagné, on va pas se mentir.

Je suis française et quand j’étais étudiante’, il y a eu la Manif’ pour tous. Oups.

Là, c’était embêtant car ça fendillait tout doucement ma petite coquille de tolérance et de bienveillance. Et ouais : j’étais (si naïve, trop mignonne) sûre qu’on y était presque, que cette loi c’était une petite formalité pour que mes copines puissent se marier et avoir des enfants. Au lieu de ça, je découvre une haine incompréhensible dans les rangs d’en face et puis parfois, dans mon entourage, bon allez c’était pas de la haine et puis c’était peut-être juste de la maladresse et puis… et puis non, c’était décevant.

La taxe tampon, premier petit clic : je découvre que depuis mes douze ans, je suis taxée à 21 % sur du matériel d’hygiène qui n’est pas considéré comme nécessaire. D’ailleurs, le Coca Cola est moins taxé, 6 %. Je fulmine, je rage, je fonce m’acheter une coupe menstruelle : ça me dégoûte un peu (oui, je vous ai prévenus, avec moi c’était pas gagné) mais je suis trop en rage pour continuer à engraisser un système qui me dégoûte.

Les violences gynécologiques, un second petit clic : j’écoute un épisode d’un Podcast à soi qui me fait mal au ventre. Je panique. Je parle d’épisiotomie et du « point du mari » à tout bout de champs, je deviens insupportable car j’ai besoin de convaincre la terre entière et ce qui me rends le plus triste, c’est que tous les hommes à qui j’en parle trouvent que j’en fais trop, ou éludent, parce que ce n’est pas leur problème. Je me sens seule.

Un jour, allez savoir, je fais du vélo et une camionnette me serre contre un mur. Des hommes hilares se retournent vers moi, ma détresse les amuse, et ce jour là, ce jour très précisément, alors que rétrospectivement je ne pense pas que ce soit la pire chose que j’ai subie de la part d’un homme ou d’un groupe d’hommes, j’ai eu envie de foutre le feu. Ce n’est pas ce moment désagréable qui m’a rendue dingue, mais plutôt de me sentir aussi exposée dans l’espace public en raison de mon genre.

La vie d’adulte m’a déçue : elle m’avait semblé être un immense terrain de jeux, elle est un champs de bataille aux horizons tranchants. Les injonctions sont contradictoires et j’essaie depuis petite de rentrer dans un moule… alors que le moule n’existe pas. C’est un peu comme cette étude qui a prouvé qu’une poupée Barbie qui serait magiquement animée et mise à l’échelle humaine, ne pourrait pas vivre. Sa cage thoracique l’empêcherait de respirer et ses hanches trop étroites, ne lui permettraient pas de marcher. J’ai le sentiment de devoir travailler très dur pour être considérée autant qu’un homme : j’ai même sans m’en rendre compte commencé à citer des hommes qui pensent comme moi, dans mes argumentations, pour convaincre plus facilement un certain type d’auditoire.

Le féminisme m’a donné des clés de compréhension pour comprendre que ce n’était pas de ma faute. Que ce n’était pas juste parce que j’étais physiquement pas impressionnante, sensible, timide, moins intelligente, et que j’avais une petite voix, qu’on m’entendait moins ou plutôt, qu’on ne m’écoutait pas. J’ai accumulé les livres, les podcasts, les documentaires et je me suis aimée de plus en plus : je me suis trouvée forte et courageuse, finalement.

Et j’ai toujours envie de foutre le feu.